© alan jonathan

As-tu remarqué à quel point tu ressembles peu à tes photos? Je veux dire, la plupart du temps, nous ne ressemblons pas à notre photo de profil ni à celle de l'une de nos pièces d'identité.

Et quand je parle du facteur temps, je ne fais pas seulement référence aux selfies que nous prenons d'un jour à l'autre, mais aussi au nombre de mois qu'il faut pour changer notre photo de contact sur WhatsApp ou notre photo de profil sur une plateforme quelconque. Et si l'on parle des photos sur les pièces d'identité officielles, cela peut même prendre des années...

Cela fait des semaines que je tourne et retourne cette question dans ma tête: Le document qui atteste de mon existence fonde sa légitimité sur une photo. Pour l'État, cette pièce d'identité est la preuve irréfutable que je suis moi et que l'image qui y figure est telle que je parais.

Mais, que se passe-t-il si je ne m'identifie pas à cette pièce d'identité officielle ? Que se passe-t-il si je veux changer d'apparence ? Cela signifie-t-il que je ne serais plus moi-même ? Ou est-ce un autre moi ? Exactement ! Le moi de cette photo n'est plus le même que celui qui écrit cet article; je ne suis plus comme lui, et lui n'est plus comme moi, car le temps nous a irrémédiablement séparés.

Mais, est-ce moi qui suis à l'origine de ce phénomène ? Je veux dire, suis-je responsable de l'apparition et de la fuite de ces doubles ? Eh bien, en partie oui et en partie non : Je suis responsable dans la mesure où je change inévitablement avec le temps—je ne suis pas le même d'une année à l'autre, ni même d'un matin à un après-midi! Et même si j'essayais de rester le même, ce serait un effort vain...

Ce dont je ne suis pas responsable, c'est de la foi aveugle, presque religieuse, que les autres placent dans une représentation décontextualisée et figée d'une fraction de mon existence; une illusionne sur une interprétation de ce que je suis, de qui et comment je suis.

Mais si tu me le demandais, je te dirais que je ne suis pas; plutôt, je suis en étant, car je change constamment, chaque seconde. Je ne suis pas au présent, mais au gérondif, car il se trouve que « le présent » est devenu inutile pour moi. Une illusion, comme la photographie.

Les doubles, 2022 © alan jonathan

C'est pourquoi, quand quelqu'un dit que untel ou unetelle ne ressemble pas à ses photos, je demande : pourquoi le devrait-il ? Ne devrions-nous pas plutôt dire que ce sont les photos qui ne ressemblent pas à cette personne ? Ou du moins à ce que nous connaissons de cette personne ? Peut-être que la référence que tu as de cette personne est encore très limitée et que tu as besoin qu’elle te permette de t’en approcher un peu plus…

Il est ridicule que nous devions continuer à prouver à ceux qui nous regardent que nous sommes effectivement juste sous leurs yeux et que nous sommes bien nous-mêmes… avec une photo ! Cela, ou ne rien faire du tout, revient au même.

Je ne veux pas dire par là que nous devrions abandonner le système de l'état civil ou que nous pouvons faire ce que nous voulons en altérant les choses, mais plutôt que, compte tenu du caractère même de la photographie, nous devrions trouver d'autres formes d'authentification pour ne pas continuer à nous laisser duper par l'image.

Ne cherche pas à ressembler à tes photos, essaie plutôt de faire en sorte que l'autre puisse, à travers elles, se faire une idée de ce que tu ne pourras jamais représenter complètement.

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